Ces éoliennes qui poussent plus vite que le vent

Source : Libération (10/02/2004 Rebonds)

Sans un programme d'économie d'énergie, la prolifération des nouveaux moulins cautionnée par l'Etat n'offrira pas d'alternative intéressante au parc nucléaire français.

Faute d'une politique énergétique cohérente, les éoliennes perdent de leurs vertus initiales. L'Ardèche est un département venté. Ses paysages superbes lui ont valu d'être classé pour partie parc naturel régional. Elle est aujourd'hui sillonnée par les promoteurs d'éoliennes. Depuis qu'un prix de rachat, très favorable, de l'électricité issu des éoliennes est imposé à EDF par l'Etat, les implantations fleurissent. Tout un chacun peut, au moins en théorie, implanter des éoliennes de 100 mètres de haut dans son jardin. Au grand désespoir de son voisin qu'il serait trop facile de taxer du syndrome de Nimby (not in my back yard).

Grâce à l'interventionnisme de l'Etat, les éoliennes offrent un retour sur investissement de l'ordre de sept ans. Des sociétés (sans agrément) arpentent donc la campagne en proposant des taxes professionnelles conséquentes aux maires. Les promoteurs mandatent et financent leurs propres études préalables. Ils démarchent les communes : certains identifient les propriétaires appartenant au conseil municipal concerné afin d'aider à la décision. Car, en plus de la taxe professionnelle, une indemnité tombe dans l'escarcelle du propriétaire concerné par l'implantation des mâts. Les promoteurs organisent et financent la consultation publique jusqu'à la prise en charge des frais connexes : apéritif des réunions publiques, documents, voyage et restauration vers des régions équipées.

Aux élus ruraux qui voient leurs compétences et charges augmenter (eau, déchets), tandis que leurs recettes diminuent avec la déprise rurale, les promoteurs privés promettent ainsi de contribuer au développement durable, moyennant des rentrées fiscales conséquentes : de l'ordre de 7 500 euros de taxe professionnelle par éolienne. Malheureusement, les projets s'inscrivent à l'échelle d'une commune ou, au mieux, à celle d'une communauté de communes ayant préalablement instauré une taxe professionnelle unique. De plus, quelle que soit l'échelle retenue, les «fermes éoliennes» (l'oxymore est plaisant) sont le plus souvent implantées le plus loin possible, à proximité de la commune voisine, qui voit les éoliennes mais ne profite pas de la taxe professionnelle.

Seul le préfet est, en fait, habilité à délivrer le permis de construire. Pour le refuser, il lui faut trouver un prétexte comme, par exemple, l'absence de demande d'autorisation de défrichement. A moins qu'il ne fasseéventuellement preuve de beaucoup de courage vis-à-vis des élus concernés, voire du tribunal administratif en avançant des critères paysagers. Mais les préfets ne restent pas plus de trois ans. Ils signent et puis s'en vont. Le schéma départemental initié par le préfet d'Ardèche a été enterré la veille des réunions publiques il y a plus d'un an.

Les écologistes, eux-mêmes, n'ont pas un discours cohérent sur le sujet : leur base est composée d'environnementalistes qui considèrent que l'énergie éolienne est une bonne chose par principe, et de naturalistes peu sensibles à l'aspect paysager du problème. Des associations de protection de la nature effectuent les études préalables pour le compte des promoteurs. Difficile, ainsi, de conserver un rôle d'opposant.

Elles sont doublées sur leur propre terrain par les chasseurs qui partent en guerre contre ces nouveaux moulins à broyer les pigeons. La Ligue de protection des oiseaux, qui a réalisé une étude pour l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, affirme qu'il n'y a pas de risque de mortalité pour les oiseaux. Les chasseurs prétendent le contraire, sans étude à l'appui. Car, même si les risques de collision existent (une étude espagnole dénombre la mortalité de vautours fauves sur un site particulier), les grands migrateurs changent de direction à l'approche des éoliennes. Yves Cochet, alors qu'il était ministre de l'Environnement, a instauré un taux obligatoire de production d'énergies dites renouvelables, mais sans cadrage ni réduction de la consommation. A qui profite le gaspillage ? Plongée dans un libéralisme débridé, l'écologie se dissout. Certains voient dans le développement de l'éolien industriel la prochaine sortie du nucléaire. La production d'une éolienne varie de 1 à 2 mégawatts : si l'on n'inverse pas la courbe de la surconsommation, combien faudrait-il d'éoliennes pour remplacer le parc nucléaire français, dont chacun des 58 réacteurs fournit déjà aujourd'hui 900 mégawatts ? Placées dans le champ du gaspillage et de la surcroissance, les énergies renouvelables ne sont pas compétitives : quelques gouttes dans un océan de gaspillage.

A moins que l'on affirme, dès aujourd'hui, que de tels équipements correspondent globalement à une réduction du parc nucléaire français et à un programme d'économie d'énergie conduit en parallèle. Des schémas devraient être préalablement instaurés et l'énergie produite devrait, elle, être utilisée localement.

Alors, seulement, pourrons-nous contempler ces nouveaux moulins avec la béatitude du campagnard fier de la journée qui s'annonce, et de sa contribution à l'avenir de la planète.

Yves VERILHAC directeur du parc naturel régional des monts d'Ardèche